Une bactérie, au laboratoire, est parvenue à réaliser une fonction chimique inconnue dans la nature : l'incorporation de silicium dans une molécule organique. De quoi réaliser de nouvelles réactions pour la médecine, l'électronique ou l'industrie. Et de quoi donner raison à l'exobiologiste Carl Sagan qui expliquait que des vies différentes de la nôtre pourraient peut-être exploiter le silicium plutôt que le carbone.

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    La nouvelle peut sembler anecdotique, voire incompréhensible : en manipulant un cytochromecytochrome C par évolution dirigée, des biologistes sont parvenus à obtenir d'une bactérie qu'elle établisse un lien chimique entre des atomes de carbone et de silicium. Voilà qui ne va pas bouleverser notre vie quotidienne. Quoique... Cette innovation, surtout parce qu'elle a en quelque sorte été découverte par la bactériebactérie elle-même, pourrait avoir des applications multiples. Et les auteurs eux-mêmes, enthousiastes, évoquent une nouvelle chimie réalisée par des systèmes biologiques et la vie extraterrestre dans des environnements variés, et évoquent Star Trek.

    Les liaisons chimiquesliaisons chimiques entre le carbone (C )) et le silicium (Si) sont connues des chimistes, qui les utilisent depuis longtemps dans de nombreux domaines. Outre pour produire du carbure de siliciumcarbure de silicium, elles sont exploitées dans les circuits électroniques, par l'industrie pharmaceutique ou dans les huiles de siliconesilicone (de quoi entretenir la confusion avec l'anglais silicon, qui signifie, justement, silicium). Mais la nature, elle, a dédaigné ce matériaumatériau pourtant courant de la croûte terrestrecroûte terrestre (plus de 27 %) et a tout misé sur le carbone pour construire ses grandes moléculesmolécules.

    Une vision d'artiste d'un extraterrestre fait de silicium. Pourrait-il vivre dans des environnements très différents du nôtre ? Personne n'a pu bâtir, même en théorie, une chimie complexe basée sur cet élément. Mais apparemment, une bactérie a réussi à en faire quelque chose. © Lei Chen et Yan Liang, Caltech

    Une vision d'artiste d'un extraterrestre fait de silicium. Pourrait-il vivre dans des environnements très différents du nôtre ? Personne n'a pu bâtir, même en théorie, une chimie complexe basée sur cet élément. Mais apparemment, une bactérie a réussi à en faire quelque chose. © Lei Chen et Yan Liang, Caltech

    Pour un chimiste (et pour les êtres vivants), le silicium est « tétravalent », comme le carbone, c'est-à-dire qu'il peut se lier avec quatre liaisons distinctes, formant un tétraèdre dont l'atome est le centre. De quoi réaliser des molécules complexes, étendues dans les trois dimensions, et même avec des rotations possibles autour d'un axe C-C ou Si-Si. Mais la chimie du silicium est plus pauvre que celle du carbone (qui a une plus forte charge en électronsélectrons) et la vie terrestre a manifesté très nettement sa préférence.

    Comme les composés carbone-silicium ont une importance économique réelle mais doivent être produits par des synthèses chimiques, quatre chercheurs du CalTech, Jennifer Kan, Russell Lewis, Kai Chen et Frances Arnold, ont imaginé de faire faire ce travail par une cellule vivante, même si aucune, sur Terre, n'en est capable aujourd'hui. Et ils ont réussi.

    Et si une bactérie pouvait produire des composés silicium-carbone ?

    Ces biologistes résument leurs résultats dans un communiqué, agrémenté d'une vidéo en anglais, et les décrivent dans la revue Science. Ils ont jeté leur dévolu sur Rhodothermus marinus, une bactérie qui apprécie les eaux très chaudes des geysersgeysers islandais. Elle abrite une petite protéineprotéine, connue de tous les organismes qui respirent, le cytochrome C, dont la tâche est de transporter des électrons. Celui de la bactérie islandaise semblait capable de catalyser, au moins faiblement, des réactions menant à la fameuse liaison C-Si.

    Les biologistes ont alors usé de « l'évolution dirigée », selon une méthode mise au point par Frances Arnold. Des mutations, plus ou moins aléatoires, sont imposées au gènegène codant pour cette protéine et les bactéries résultantes sont sélectionnées, pour ne retenir que celles chez qui la fonction recherchée semble plus efficace. Après trois cycles seulement, leur variété de R. marinus fabrique désormais une enzymeenzyme qui catalysecatalyse les liaisons C-Si quinze fois mieux, affirment les auteurs, que le meilleur catalyseurcatalyseur chimique.

    Le capitaine Kirk et Spok, dans un épisode de la série télévisée <em>Star Trek</em>, rencontrent une créature étrange. Leur premier réflexe est de lui tirer dessus. Spok comprend ensuite qu'elle est faite de molécules à base de silicium, une idée récurrente en exobiologie. © Caltech

    Le capitaine Kirk et Spok, dans un épisode de la série télévisée Star Trek, rencontrent une créature étrange. Leur premier réflexe est de lui tirer dessus. Spok comprend ensuite qu'elle est faite de molécules à base de silicium, une idée récurrente en exobiologie. © Caltech

    Voilà donc une bactérie qui s'est inventé une nouvelle fonction n'existant pas dans la nature. Pour l'industrie chimique, c'est la possibilité d'explorer de nouvelles méthodes pour synthétiser des composés carbone-silicium inédits. Pour l'exobiologiste, c'est une information croustillante, qui ramène un souvenir de Carl Sagan.

    En 1973, il évoquait le « chauvinisme du carbone », fustigeant ainsi l'idée que la vie telle que nous la connaissons ne peut exister qu'en s'appuyant sur la chimie du carbone. Les chercheuses convoquent Star Trek et la créature Horta, dont Spok comprend que sa chimie repose sur le silicium... La perspective ouverte est en effet instructive puisqu'elle nous donne à penser que la vie telle que nous la connaissons peut s'adapter à des conditions très variées, au-delà de celles connues sur Terre.