La plupart des espèces de requins est encore peu connue des scientifiques. L’accès à leur lieu de vie est rare, et y observer leurs petits en développement l’est encore plus. Les images d’embryons de requins-marteau (Sphyrna tiburo) que cette équipe de biologiste a réussi à capturer sont donc exceptionnelles, et permettent pour la première fois d’étudier le curieux développement de leur tête caractéristique.


au sommaire


    La biologie du développement est une discipline qui s'intéresse aux mécanismes de croissance des organismes, afin de comprendre leur diversité. L'une des techniques d'étude passe par l'observation du développement en temps réel, qui se pratique souvent sur des espèces pondant des œufs, tels que certaines espèces de requins. Mais comment étudier le développement embryonnaire d'une espèce de requin, aussi fascinante que le requin-marteau, quand on sait que celle-ci ne pond pas d'oeufs ? Une équipe de chercheurs américains y est parvenue, levant le voile sur le mystère de la formation de leurs étranges têtes, et ont partagé leurs images inédites. 

    La tête caractéristique en forme de marteau commence tout juste à être visible sur cette image d'un embryon de requin bonnet. Échelle = 1 cm. © Steven Byrum et Gareth Fraser, Département de biologie, Université de Floride 
    La tête caractéristique en forme de marteau commence tout juste à être visible sur cette image d'un embryon de requin bonnet. Échelle = 1 cm. © Steven Byrum et Gareth Fraser, Département de biologie, Université de Floride 

    « Aucun requin n’a été sacrifié pour notre étude »

    Les requins-marteaux (Sphyrna tiburo)) ne pondent pas d'œufs : ils sont viviparesvivipares, comme les humains. Chacun des 16 embryonsembryons grandit in utero, relié à la mère par un cordon ombilicalcordon ombilical. Les petits qui naissent, mesurant en moyenne 40 centimètres, sont parfaitement autonomes et prêts à survivre par eux-mêmes. Mais alors, comment observer un embryon de requin-marteau s'il se développe dans le ventre de sa mère ?

    Une équipe de chercheurs de Floride a récupéré des embryons de requins femelles adultes, qui avaient été capturées dans le cadre d'études de population au large des côtes du Golfe et de l'Atlantique de la Floride. Ces femelles faisaient partie des quelques individus qui n'ont pas survécu au processus de marquage, précédant habituellement leur relâche. Elles ont volontairement été conservées, ainsi que leurs embryons - qui n'auraient de toute façon pas survécu - à des fins scientifiques. Gareth Fraser, le biologiste du développement en charge de cette étude, précise : « Aucun requin n'a été sacrifié pour notre étude ». Les chercheurs ont pu étudier un total de 177 embryons, et ont établi un diagramme de croissance visuel : une première pour des requins-marteaux. Ces travaux leur ont permis d'étudier les étapes cruciales du développement, en particulier le moment précis où l'embryon développe la forme caractéristique de la tête.

    Les images d'embryons d'âges différents révèlent comment les requins se développent in utero. © Steven Byrum et Gareth Fraser, Département de biologie, Université de Floride 
    Les images d'embryons d'âges différents révèlent comment les requins se développent in utero. © Steven Byrum et Gareth Fraser, Département de biologie, Université de Floride 

    Pourquoi cette tête en forme de marteau ?

    Ce petit requin de l'Atlantique ouest est connue sous le nom de « tête à bonnet », en raison de son « marteau » relativement petit et arrondi, mais fait en réalité partie d'un groupe de huit espèces appartenant à l'ordre des Carcharhiniformes, et possédant toutes cette tête en forme de marteau. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il s'agit d'une forme particulièrement hydrodynamique, permettant à ces grands prédateurs de tourner rapidement et d’épingler leurs proies. Les scientifiques pensent que leur tête a évolué en une forme large et aplatie pour améliorer leur sensibilité : le positionnement des yeuxyeux de part et d'autre permet d'élargir le champ de vision, et l'étalement des capsules nasales améliore les capacités olfactives. De plus, leur « sixième sens » est également amplifié, les ampoules de Lorenzini - leur permettant de détecter le champ électromagnétique - étant de facto réparties sur la largeur de leur tête.

    Ces travaux inédits démontrent une fois de plus que l'océan recèle d'une multitude de merveilles, aux adaptations plus fascinantes les unes que les autres. Cependant, les opportunités permettant de les documenter sont parfois très rares. D'où le célèbre adage « pas de science sans patience »...